lundi 5 août 2013

Gouverner les Arabes par le chaos




À toutes les époques, des crises de toutes sortes ont eu lieu. L’état de crise n’était cependant pas la norme. Or, il semble qu’à notre époque, la crise deviendrait la règle et la stabilité serait l’exception. D’où vient cette inversion ? A-t-elle une cause naturelle ou procède-t-elle d’une intentionnalité, d’un dessein, d’un programme ?


Emmanuel Kant écrivait en 1795 son projet de « paix perpétuelle ». L’étude attentive de l’histoire des idées montre qu’il existe également un « Projet de guerre perpétuelle », ou de « crise perpétuelle ». En effet, l’observation des crises du passé a permis à quelques fins esprits de noter que les états de crise introduisaient toujours un changement. À partir de la deuxième moitié du 18ème siècle et de la montée en puissance du capitalisme, les mêmes fins esprits se sont alors demandé s’ils ne pouvaient pas s’emparer à leur avantage de ce mécanisme de crise productrice de changement. Ils se sont posé la question en ces termes : « Plutôt que d’attendre que les crises arrivent toutes seules, pourquoi ne pas les faire arriver artificiellement, d’une manière aussi contrôlée par nous que possible, de sorte à opérer les changements qui nous arrangent ? » 

Le pseudo « printemps arabe », était né.

Expression par excellence de ce principe de chamboulement sous contrôle : le remodelage du Grand Moyen-Orient. C’est en 2003 que Georges W. Bush, alors président des États-Unis, expose officiellement cette doctrine dans des allocutions médiatisées. Il fallut attendre les attentats du 11 Septembre 2001 pour que les vannes d’une nouvelle ère néo-coloniale soient franchement ouvertes.

Une nouvelle discipline apparaît dans les think-tanks de Washington : la transitologie, qui se donne pour mission de réfléchir aux « changements de régimes » et aux moyens de les provoquer artificiellement. Sous prétexte de la guerre aux dictateurs ou au terrorisme, les deux parfois confondus, et d’attaques préventives pour lutter contre les « États voyous», il s’agira en fait de prendre le contrôle de vastes zones géographiques qui vont du Maroc au Pakistan. Ce programme impérialiste procédera par des « révolutions de couleurs » et des « guerres justes », en réalité de simples putschs, coups d’État et guerres d’invasion accomplis avec le soutien d’ONG complices et de plus en plus interventionnistes au nom du « droit d’ingérence », de sorte à placer des hommes liges (les islamistes) aux postes de pouvoir et de redessiner les frontières selon les intérêts de l’envahisseur.

Les trois « têtes chercheuses » de l’Empire


En 1997, Zbigniew Brzezinski écrivait, dans son  "Grand échiquier"  : « Il est impératif qu’aucune puissance eurasienne concurrente capable de dominer l’Eurasie ne puisse émerger et ainsi contester l’Amérique. La mise au point d’un plan géostratégique relatif à l’Eurasie est donc le sujet de ce livre. » Mais Brzezinski était loin d’être isolé et son livre n’est que la partie visible de l’iceberg.

Point d’orgue de ce coup d’État élaboré sur des années, les attentats du 11 Septembre 2001, dont le véritable cerveau semble plutôt être Benjamin Netanyahu que « Photoshop » Ben Laden, et qui devaient permettre à Tel-Aviv de prendre le contrôle de la politique étrangère de Washington par la désignation d’un ennemi commun : le « terrorisme islamiste ».

De cette accumulation de couches et de strates d’intérêts convergents allaient sortir en 2007 les révélations fracassantes du général Wesley Clark, de l’US Army, disant que, les plans américains d’après le 11/9 prévoyaient d’envahir sept pays : l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie, l’Iran, la Somalie et le Soudan. 

Si l’on récapitule les acteurs du programme impérial actuel, on en découvre donc trois :

1. l’empire anglo-saxon, déjà existant, élaboré entre Londres pour la branche franc-maçonne et Washington pour la branche WASP. Le terme de White Anglo-Saxon Protestant (abrégé par l'acronyme WASP) désigne l'archétype de l'Américain blanc favorisé, descendant des immigrants protestants d'Europe du nord-ouest, dont la pensée et le mode de vie ont structuré la Nation américaine depuis les premières colonies anglaises du XVIIe siècle. On s'y réfère aujourd'hui en termes de sociologie afin de différencier les communautés et les modes de vie. Le terme exclut donc par définition les minorités : Catholiques, Juifs, Afro-américains, Hispaniques, Amérindiens, Arabes, Asiatiques et autres « bougnoules ».

2. l’empire juif, en gestation depuis la composition de la Torah et l’invention de l’idée d’une race supérieure « élue » pour dominer le monde. On sait que cet empire contrôle, depuis longtemps, la finance mondiale, les mines d’or et de diamant, l’information et le spectacle audio-visuels, etc

3. l’empire pétro-monarchique sunnite islamiste (sunislamiste, ou wahhabite), qui ne rêve que d’en finir avec ses rivaux shiites et nationalistes laïcs arabes (baassistes, bourguibistes, nassériens, etc.). Son projet impérial à long terme est évidemment le fantasmagorique califat, dont d’ailleurs, chaque roi fainéant, roitelet, émir, cheikh, ou agha, se voit « le calife à la place du calife ». Même un drogué comme Ghannouchi se voit déjà « le calife de droit divin » du Tunistan, une province d’Afrique du Nord que lui ont accordé simultanément Allah, son Prophète et l’Empire anglo-saxon.

Le séparatisme comme méthode de l’Empire


Chacun de ces trois acteurs, anglo-saxon, sioniste, sunislamiste  travaille à son destin impérial. Ils convergent, voire fusionnent sur certains points. Ils sont, par exemple, totalement entrelacés et interdépendants sur le plan logistique, notamment en raison d’agréments et de contrats énergétiques, financiers ou d’armement, comme le pacte du Quincy conclu entre les USA et l’Arabie Saoudite en 1945.

Cette interdépendance se fait à la manière des nœuds borroméens : la disparition de l’un entraînerait dans sa chute la disparition des deux autres, ou du moins compliquerait singulièrement leur existence et hypothéquerait gravement leurs chances de survie à long terme.

Les trois impérialismes  se tiennent par la barbichette

« Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette ;

Le premier qui rira aura une tapette ! 

 Un, deux et trois croisons les bras

comme des p'tits soldats4 ! »

Même s’ils sont liés « à la vie, à la mort », chacun des trois possède néanmoins ses propres raisons et dynamiques internes, indépendantes de celles des autres. Leur attelage est donc fragile et parcouru de fractures actuelles et potentielles. On peut les deviner par l’expérience de pensée consistant à envisager la disparition de leur ennemi commun, au principe du ciment qui les soude : l’État-nation. La liquidation totale et sans retour de l’État-nation, ainsi que de toute forme de souveraineté populaire, de service public et de protectionnisme aux frontières, est le rêve de ces Empires .... Mais si la multitude des nations souveraines venait à disparaître réellement, les trois impérialismes se retrouveraient alors sans objet, et se retourneraient les uns contre les autres pour la dernière étape de la compétition dans une phase d’entre dévoration et de destruction mutuelle.

Les alliés stratégiques, alliés objectifs d’hier deviendraient ennemis mortels d’aujourd’hui pour la domination exclusive du monde selon l’adage : « Il ne peut en rester qu’un ». Ne résultant pas d’affinités profondes, leur alliance est donc conjoncturelle, circonstancielle et disparaîtrait jusqu’au dernier atome en cas de réussite de la première étape de leur plan mondialiste : l’abolition des États-Nations.

Sur le plan doctrinal, leur unité et point de convergence réside effectivement dans leur ennemi commun, l’État-nation, dont les fondements ont été définis par les Traités de Westphalie de 1648. Par définition, l’Empire prétend à la totalité et à l’englobement. Sa caractéristique est l’absence de bords et de limites (la Oumma islamiste couvre la Terre entière, le Califat, dans sa version ultime, devra donc couvrir la terre entière).

L’obstacle à surmonter pour l’Empire loge donc dans le nationalisme et la multipolarité. Outre l’aspect logistique, le facteur de solidarité des trois branches de l’Empire peut donc être également trouvé dans la méthodologie qu’ils emploient pour parvenir à leurs fins, détruire la souveraineté nationale « une et indivisible », ce qui en géopolitique porte un nom : le séparatisme.

Du côté anglo-saxon


Pour réfléchir aux moyens d’empêcher le monde arabe de s’unifier et perpétuer ainsi la domination européenne au Proche et Moyen-Orient, Sir Henry Campbell-Bannerman, le premier ministre britannique de l’époque, réunit en 1907 un groupe d’experts dans le cadre de ce que l’on appelait alors « The Imperial conference » (ou « Colonial conference » jusqu’en 1907). Le compte-rendu des speeches de Campbell-Bannerman au Parlement anglais est accessible sur Internet . La substance des débats nous est résumée par Pierre Démeron dans « Contre Israël » (J.-J Pauvert, 1968, pp. 44-45) : « L’impérialisme anglais très vite voit le bon usage du sionisme. En 1907 déjà, le premier ministre britannique, Campbell-Bannerman, inquiet de l’éveil des nationalismes chez les peuples colonisés, réunit une commission d’historiens et de sociologues pour étudier les moyens susceptibles de perpétuer la domination européenne : "Les empires se forment, s’agrandissent et se stabilisent un tant soit peu avant de se désagréger et de disparaître... Avons-nous un moyen d’empêcher cette chute, cet effondrement, nous est-il possible de freiner le destin du colonialisme européen actuellement à son point critique ?" (…) À ces questions angoissées la commission répond en montrant la nécessité de lutter "contre l’union des masses populaires dans la région arabe ou l’établissement de tout lien intellectuel, spirituel ou historique entre elles" et recommande de chercher "tous les moyens pratiques pour les diviser autant que possible" et notamment, comme moyen d’y parvenir, l’édification d’une "barrière humaine puissante et étrangère à la région – pont reliant l’Asie à l’Afrique – de façon à créer dans cette partie du monde, à proximité du canal de Suez, une force amie de l’impérialisme et hostile aux habitants de la région". »

Du côté israélien


La fameuse « barrière humaine étrangère à la région » et hostile à ses habitants voyait le jour en 1948. Rappelons les paroles mémorables de Yehudi Menuhin au moment de la création de l’entité sioniste : « Le monde ne connaîtra plus jamais la paix. » Un consensus se dégage chez les connaisseurs les plus impartiaux du sionisme, juifs y compris, pour s’accorder sur le fait qu’il semble bien que le cœur du projet sioniste soit de réduire en esclavage ou de détruire, juifs y compris. De fait, le sionisme n’est pas strictement juif, et peut même se révéler antisémite ou antisioniste à l’occasion : des juifs sionistes ont collaboré avec le nazisme, dans la banque ou ailleurs, le Hamas a été créé par Israël, ce sont des juifs sionistes qui ont assassiné Yitzhak Rabin, et par extension les espoirs de paix, etc., etc., etc. Nous avons vu par ailleurs, comment Rached Ghannouchi est souvent l’invité du lobby israélien aux États-Unis, les coopérations : islamisme-sionisme, Qatar-Israël, Arabie-Saoudite – Israël, etc….

La parabole talmudique du petit coq juif qui pousse les gros coqs « goyim » – comprendre « chrétiens et musulmans » – à s’entretuer pour régner sur eux nous est rappelée par l’inénarrable Ron Chaya dans une vidéo bien connue qui a fait le tour du Net. Une expression contemporaine de cette volonté de destruction appliquée aux Proche et Moyen-Orient est contenue dans la publication datée du 13 juin 1982, comprenant l’article d’Oded Yinon, haut fonctionnaire israélien du Ministère des relations étrangères, accompagné de sa préface d’Israël Shahak, et intitulé « Israël, une stratégie persévérante de dislocation du monde arabe » :

Du côté sunnite wahhabite


Aujourd’hui, le pôle sunnite wahhabite, piloté par l’Arabe Saoudite et le Qatar, est clairement engagé dans une guerre avec l’Iran shiite et ses alliés baasistes. On en voit les résultats en Syrie dans le cadre d’un « hard power » ultra-violent.

L’impérialisme wahhabite étant l’ami de circonstance des impérialismes anglo-saxon et sioniste, on devine pour quelle version de l’islam balance le cœur de Washington et de Tel-Aviv. Dans l’Islam de marché (Le Seuil, 2005), Patrick Haenni écrivait : L’islamisme, entièrement placé sous tutorat occidental et capitaliste, pourrait devenir à l’islam ce que le sionisme est au judaïsme.

Conclusion 

Après avoir armé les terroristes en Syrie, les États-Unis voient aujourd’hui débouler les hordes barbares djihadistes sur l’Irak. La déstabilisation de ce pays, tout comme de la Syrie, fait partie du projet de démembrement du monde arabe sur des bases ethniques, confessionnelles ou tribales. Les multinationales n’ont cure de la confusion générée par cette situation, le principal étant pour elles de contrôler les champs pétroliers… et qu’Israël survive en tant qu’État juif.
Depuis la chute du bloc socialiste jusqu'au 11 Septembre, une dizaine d’années aura ainsi été nécessaire pour instituer un ennemi de substitution au communisme, le terrorisme. Le cadre, c’est la stratégie du chaos, fait de désinformation systématique diffusée par des officines officielles occidentales et arabo-wahhabites, de mesures liberticides contre leurs propres concitoyens, d’occupations armées et de mainmise politique sur des peuples ayant perdu leurs initiatives civiques et leurs immunités. La doctrine, c’est la préemption militaire où faire fi des lois et de l’éthique est légitimé et où les justifications et les preuves sont délibérément manipulées pour fonder le massacre des néo-barbares dans une guerre totale du camp du bien contre l’axe du mal. Au terrorisme tout court qu'ils ont materné et lancé ici et là, les États-Unis répliquent par le terrorisme d’État. Le général Giap, qui a combattu la France avant d’affronter les États-Unis, disait des colonialistes qu’ils étaient de mauvais élèves. Il ne reste plus à ces derniers qu’à passer à l’addition… forcément salée. 

Hannibal Genséric

Les textes de couleur marron sont de H.G.
Extraits d’articles parus publiés initialement dans le magazine « Rébellion », n°57, janvier/février 2013. Par Lucien C.

 http://www.egaliteetreconciliation.fr/Gouverner-le-Moyen-Orient-par-le-chaos-18457.html