dimanche 27 mars 2016

Bruxelles. L’Union (européenne) fait la farce

Hier matin, sur France Inter, Patrick Cohen annonçait que la comique Charline Vanhoenacker et toute son équipe seraient présentes à Bruxelles pour animer sur place L’union fait la farce, une émission franco-belge « jouissive et engagée pour prendre le dessus sur le réel », « parce qu’on va pas s’empêcher de rire parce que des imbéciles veulent mourir... ».

Comment, en découvrant cela dans le contexte actuel, ne pas penser à Brazil, ce film délicieux, terriblement grinçant et absolument culte de Terry Gilliam dans lequel est dépeint une société orwellienne et consumériste célébrant continûment la joie de Noël au milieu d’incessants attentats qui légitiment le système totalitaire ?
Comment surtout ne pas penser ici à Guy Debord ? C’est-à-dire, comment ne pas entrevoir cette annonce comme un magnifique instant de vérité ? Comment ne pas toucher du doigt et même prendre en pleine poire cette « société du spectacle » qui, à tout instant fait dans la compassion à outrance, la contagion émotionnelle [1], l’appel à la solidarité avec son mantra du « tous ensemble » et qui, trois jours après les attentats vient dresser des tréteaux à proximité pour nous faire du grand guignol radiophonique, histoire d’oublier qu’entre-temps nous avons eu droit à des avalanches de mensonges, d’innombrables appels à la guerre et tout autant de mise en cause de l’islam en tant que religion ?
Outre les familles des victimes — celles et ceux qui ne voulaient pas mourir — qui pourraient être légitimement choquées du fait que le rythme des médias écervelés et écervelant [2] leur soit imposé et fasse ainsi obstacle au recueillement et au nécessaire travail de deuil, comment ne pas avoir la nausée face à tous ces élans populaires joyeusement téléguidés via les réseaux sociaux et qui, à l’instar de « Je suis Charlie », sont autant d’appels subliminaires à l’union sacrée sans laquelle aucune « guerre de civilisation » ne serait possible ?
Comment ne pas voir que L’union fait la farce est un titre tellement vrai, sans doute le meilleur possible pour ce qui semble bien être le final de la tragicomédie moyenorientale dont nous sommes tous des figurants plus ou moins complices, à force d’œillères bien placées et de silences déplacés, et assurément victimes vu que, sauf miracle, les nations européennes vont y perdre leur âme, d’une manière ou d’une autre.
Il semble en effet que le spectacle soit dorénavant total, permanent, ce qui veut dire que le mensonge est omniprésent et qu’encore une fois, le vrai n’est plus qu’un moment du faux. Tout semble prêt pour la fabrication d’un mythe, celui de la « bonne guerre » qui, malgré la succession des désastres afghan, irakien, libyen, syrien et j’en passe, nous portera à défendre comme un seul homme notre religion laïco-égalitaro-démocratico-droidelomiste quel que soit le prix, serait-ce celui du sacrifice suprême ou pire, de la destruction de la planète.
A moins que nous continuions à vivre encore quelque temps dans un Brazil au rythme de plus en plus enflammé, non de la samba, mais d’attaques terroristes tellement propices à la mise en place d’un ordre totalitaire — qui, pour être mondial, n’aura cependant rien de bien nouveau tant il ressemblera au Meilleur des mondes.
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[1] Même quand il s’agit de clamer qu’avoir peur, c’est faire le jeu des terroristes !
[2] C’est-à-dire, pour lesquels (il importe qu’)une information chasse (effectivement) l’autre.
http://lucien-pons.over-blog.com/2016/03/l-union-fait-la-farce-dans-le-monde-reellement-renverse-le-vrai-est-un-moment-du-faux-guy-debord-par-michel-loti.html?utm_source=_ob_email&utm_medium=_ob_notification&utm_campaign=_ob_pushmail